Ordalie

L’île était minuscule. Elle avait cependant
Le tour d’un univers et le poids des géants.
La mer grise grondait de la fureur des Ases.
Chacun s’en retournait à l’abri sur ses bases.
Il ne restait plus là que deux homme, deux fous,
Lui et moi, armés d’épées longues, et debout.


Que nous disputions-nous? D’où venaient tous nos cris?
Nous étions au-delà des enjeux et des prix.
Nos deux clans se vouaient une haine implacable.
La mer avait lavé bien du sang sur nos sables.
Depuis plus de vingt ans que nous étions voisins,
Nous prenions, reperdions, sans cesse, nos butins.
Ils nous avaient volé trois chevaux et dix vaches.
Et nous avions détruit leur nef à coups de haches.
Les enfants se fuyaient ou se jetaient des pierres;
Ils répétaient en chœur les injures des pères.
Nous lavions dans le sang les filles humiliées.
Et nous avions beaucoup de familles alliées,
Qui écoutaient le soir les larmes de ma mère,
Inondant l’ennemi d’imprécations amères.
Mes cousins revenus de trois ans de rapines,
Nous avaient rapporté des armes byzantines.
Que nous nous sentions forts! Que nous les trouvions belles!
Le Thing s’était ému de la rumeur cruelle.
Il avait ordonné qu’au retour de l’hiver
Nous vidions la querelle et rengainions nos fers.

Moi, j’étais volontaire. On vantait mon ardeur.
On l’avait désigné. Il était le meilleur.
Nous étions réunis sur cet îlot immense,
Pour résoudre en un jour la haine et les alliances,
Et risquer sur un coup le reste de notre âge.
Pour donner du spectacle aux enfants sur la plage,
Nous lancions des jurons et des serments malsains.
À coups de boucliers, de pieds, de plats de mains,
De grincements cruels de lames sur la pierre,
Nous leur donnions du bruit de toutes les manières.
Et pour bien leur montrer ma gloire souveraine,
J’accompagnais mes mots par des gestes obscènes.
Puis nous avions frappé, et de gauche et de droite,
Et d’estoc et de taille, à rendre nos mains moites,
À subjuguer les flots, à faire hurler nos mères,
Puis trouver la fierté dans les yeux de nos pères.
Peu à peu affaibli, moins porté par la rage,
Mon adversaire avait cédé à mon orage.
Je l’avais martelé, comme Thor dans sa forge.
Mon fer était enfin, froid et dur, à sa gorge.
Je n’avais plus qu’un geste, une faible poussée
À faire, et il mourait. Déjà, levant leurs glaives,
Nos adés criaient, exultaient, sur la grève.
Mais le clan d’Olafson cherchait son chef des yeux,
Ne sachant s’ils devaient ou bien prier les dieux,
Ou bien saisir leurs arcs, m’occire promptement,
Désobéir au Thing et saigner mes parents.
Leurs regards convergeaient vers ce fils qui saignait.
Celui-ci, résigné, dignement, m’attendait.
Mais avant de tuer, pour bien l’humilier,
J’arrachai ses habits. Coupant son baudrier,
Je découvris soudain un secret oublié,
Une larme coula sur la joue du guerrier:
Sur sa peau pâle et rouge, un doux gage d’amour,
Un lien de cheveux blonds caché sous le cuir lourd.
En haut de la falaise, une vive lueur
Attira nos regards et calma ma fureur.
Dans l’éclair de l’orage, une fille sublime
Chanta un air venu du profond de l’abîme.
Et son chant était tel qu’il me transperça l’âme.
Et ma main affaiblie laissa tomber sa lame.

 

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