Comment se passer du redoublement (éventuellement)?

 

J’ai déjà évoqué dans d’autres articles le mauvais procès fait au redoublement depuis une quarantaine d’années. J’ai aussi rappelé les conditions à respecter si l’on veut qu’un redoublement se passe bien. Toutefois ce dispositif n’est pas sans défauts, il faut bien le reconnaître. Il est parfaitement légitime de chercher à le remplacer ou à le compléter par un dispositif meilleur. Évidemment, nous n’aurons progressé que si la nouvelle solution prend en compte correctement tous les objectifs du redoublement et présente au bilan moins d’effets secondaires, ce qui n’est pas le cas avec la politique actuelle des cycles, mais je n’y reviens pas.

On peut adresser plusieurs reproches légitimes au redoublement.

Le premier de ces reproches est d’être démotivant. On peut penser qu’il décourage certains élèves en leur collant l’étiquette de “mauvais élèves”, d’élèves “en échec” et toutes ces choses-là. On a vu précédemment que le plus grand facteur de démotivation était en réalité l’incohérence des décisions et l’ignorance de l’élève qui ne parvient pas à suivre les cours. Cependant, il est possible qu’il reste un effet décourageant au moment des choix d’orientation, même lorsque le redoublement s’est bien passé. En effet le redoublement a un côté visible et définitif dans la scolarité. Le redoublant peut renoncer à faire des études longues, s’il se dit qu’il a déjà perdu trop de temps.

Par ailleurs, la différence d’âge a tendance à se voir physiquement dès la première année de retard. Cela peut avoir un impact déplaisant sur la vie scolaire et entretenir l’impression de n’être pas tout à fait à sa place. Cet effet ne doit pas être exagéré. Un âge avancé peut au contraire conférer certains avantages, pas seulement en termes de force physique, mais aussi en expérience de la vie. C’est très sensible au lycée, quand on est presque adulte, on saisit par exemple beaucoup mieux certaines allusions littéraires, certaines réflexions philosophiques, ou certaines réalités biologiques, du seul fait que l’on a un ou deux ans de plus que ses camarades. Même pour des choses très scolaires, la différence peut se voir.

Ces effets psychologiques dépendant beaucoup de la façon dont on présente les choses, ils ne suffisent donc pas, à eux seuls, pour refuser le redoublement. Toutefois, si on peut être aussi efficace d’une autre manière, on préfèrera épargner ces soucis aux jeunes.

L’autre défaut du redoublement, c’est qu’il coûte cher. Moins cher assurément que de forcer un adolescent illettré à traverser les quatre années du collège sans rien comprendre, mais il y a certainement une marge de manœuvre pour des économies. Un an, c’est beaucoup. Un bonne partie du redoublement est superflue. En effet, on repasse toutes les matières, alors que bien souvent une ou deux seulement font vraiment difficulté et mettent en question la capacité à suivre les cours de l’année suivante. Il est légitime de faire redoubler un élève parce qu’il ne maîtrise pas les bases de la grammaire ou du calcul, mais va-t-on l’obliger à repasser aussi l’anglais ou l’histoire? En soi, c’est bien dommage, mais dans le cadre du redoublement, il n’est guère possible de faire autrement. Un élève aurait bien du mal à se remettre à temps plein après une année occupée seulement par les mathématiques et le français. À l’inverse, ce surcoût du redoublement peut nous inciter à laisser passer de graves lacunes, en comptant sur des compensations absurdes. Maîtriser parfaitement la division à deux chiffres ne permet pas d’écrire correctement une lettre et vice-versa. Or, un jeune a besoin des deux. Il n’est certes pas nécessaire d’être bon partout, il suffit de n’être lamentable nulle part. Nous aurions tout intérêt à trouver une organisation qui nous permette de mieux cibler les besoins.

Avant de faire des propositions, gardons bien en tête les objectifs.

Le plus important est de s’assurer que tous les élèves sont capables de suivre les cours et qu’aucun élève ne vient en classe pour rien.

Ensuite, il faut créer une vraie incitation au travail pour tous les élèves, les bons comme les médiocres (on intervient avant qu’il y ait des mauvais). Il s’agit de rappeler que la paresse a des conséquences et que la réussite n’est pas un droit en soi. Elle se mérite.

Enfin, il faut permettre à ceux qui en ont besoin de disposer de plus de temps que les autres pour les apprentissages, en privilégiant la solidité des apprentissages, quitte à ce que le cursus soit différent à l’arrivée. La politique actuelle des cycles ne donne en réalité aucun temps supplémentaire aux élèves fragiles. Il y a un énorme sophisme derrière les raisonnements qui l’on justifiée.

Cela étant posé, nous avons plusieurs pistes à explorer.

La première c’est l’orientation. Elle répond plus ou moins au premier critère, assez bien au second, mais pas du tout au troisième. En soi, il est légitime de sélectionner, afin de proposer à chacun ce qui lui convient, mais le risque, si on présente la sélection comme une alternative au redoublement, c’est de créer des voies de garage. Les filières techniques ne doivent pas être, comme aujourd’hui, un refuge pour ceux qui ont échoué au général. On a besoin de techniciens de talent, pas de pauvres gars dans les mains desquels on met une perceuse, parce qu’on s’imagine qu’ils ne sont pas capables de se servir de leur cerveau. Les écoles professionnelles ont autant que les autres le droit de sélectionner leurs élèves et le devoir de s’assurer qu’ils sont capables de faire ce qu’on leur demande. De même, la série L ne devrait pas être une filière de mauvais en maths. La neutralisation du redoublement a eu comme effet pervers une utilisation accrue de l’orientation pour la sélection. L’ajustement ne pouvant plus se faire sur le nombre d’années, il se fait par l’orientation vers des écoles moins réputées. Le mépris du redoublement a certainement aggravé la hiérarchie malsaine qui existe entre les filières. Puisqu’on n’a plus de moyen efficace de remettre les élèves sur pieds, on les pousse vers la sortie. Il n’y a plus de place décente pour les faibles. C’est tout ou rien. L’orientation n’est donc pas une alternative suffisante à l’échelle du système. À titre individuel, elle peut fonctionner (je m’oriente là où je suis fort), mais à l’échelle de la nation, ça ne fonctionne pas, car il y a beaucoup de jeunes, qui, à un moment donné, se retrouvent sans point fort à mettre en avant. L’orientation doit s’articuler avec d’autres dispositifs.

Les classes relais ne sont que des redoublements déguisés. Un certain nombre de collèges ou de lycée proposent ce dispositif de remise à niveau sur leur première année, donc pour la sixième ou pour la seconde. Il s’agit de faire le programme en deux ans au lieu d’un seul. C’est proposé aux élèves dont le niveau paraît trop faible pour qu’ils soient acceptés normalement dans l’établissement. Il s’agit d’une certaine manière d’un redoublement anticipé et volontaire, au sein d’une classe spécialement dédiée. Il y a des avantages évidents. D’abord on donne effectivement plus de temps aux élèves. Ensuite le caractère volontaire est a priori favorable à la réussite. Enfin, en principe, le fait de rassembler des élèves ayant le même niveau devrait permettre une meilleure adaptation à leurs besoins. Toutefois, ça ne va pas sans quelques difficultés. Cela tient principalement à la place de ces classes dans le cursus. Elles sont généralement proposées à des moments supposés décisifs (entrée au collège ou au lycée), comme si le changement de méthodes de travail était le point le plus important à résoudre. Je ne nie pas que le passage d’un instituteur unique à une multitude de professeurs spécialisés puisse perturber les plus fragiles. Cependant ce n’est rien, si on le compare aux lacunes accumulées pendant cinq années d’école élémentaire. Il y a de fortes chances que ce quasi-redoublement arrive trop tard pour changer vraiment la donne. Jusqu’à quel point du programme de primaire, le professeur de mathématiques devra-t-il remonter avant d’attaquer véritablement le programme du collège? Il aurait mieux valu un redoublement précoce. Comme tous les redoublements, les classes relais n’échappent pas au problème de la stigmatisation. Je dirai même qu’elles tendent à l’aggraver. Un redoublant, dans une classe normale peut tenter de se fondre dans la masse, si sa taille le lui permet. De toute façon, il est traité à égalité avec ses camaraes et il a l’occasion de montrer à tous qu’il est aussi capable qu’un autre. En revanche, avec les classes relais, il y a un risque net de se trouver avec des élèves incapables de se rattacher à un circuit normal. Dit plus crûment, on se retrouve souvent avec des classes poubelles, très difficiles à gérer, que tout l’établissement a tendance à considérer comme telles. Il y a un effet ghetto. L’étalement des apprentissages n’offre alors qu’un avantage apparent, s’il se traduit par une trop grande perte d’ambition. Il semble que ces classes relais soient plus efficaces au niveau du lycée, où le baccalauréat maintient un objectif clair, qu’au collège, où l’objectif est plus difficile à percevoir. Le DNB (diplôme national du brevet) est aujourd’hui d’un niveau beaucoup trop faible pour constituer un aiguillon. Une enquête approfondie serait souhaitable pour mieux évaluer ces phénomènes. La compétence et l’implication des enseignants sont particulièrement déterminantes dans un tel contexte et les réussites locales sont difficilement transposables. Pour toutes ces raisons, les classes relais ne me semblent pas apporter un avantage sérieux par rapport aux redoublements sincères.

Dans un esprit assez proche, nous avons les classes de niveau. Parfois d’ailleurs, les classes de niveau prolongent les classes relais. Par exemple après une sixième relai, on affecte les élèves à une cinquième pudiquement appelée cinquième aménagée, où des professeurs plus ou moins volontaires sont censés prendre en compte les besoins spécifiques d’un public en difficulté scolaire. À côté de cela, la cinquième A sera une classe bilingue, on fera du latin et de l’allemand en quatrième B. Les élèves de cinquième F seront mécaniquement envoyés en quatrième F, où aucune option ne leur sera proposée, puisqu’on les juge trop faibles pour seulement essayer. Ces classes de niveau constituent un pis-aller. On y suit le même programme que dans les autres classes, en général sans disposer de plus de temps, mais avec une moindre exigence, c’est à dire une moindre ambition. Au fond, ça consiste à dire à nos randonneurs un peu lents, qu’ils vont former un groupe allant à leur rythme, mais qu’au bout du compte ils devront arriver en même temps au même endroit que le groupe des randonneurs de compétition. Malheureusement, chacun sait qu’on a tendance à aligner ses efforts sur ceux qui nous entourent. Il ne faut pas que j’aie devant moi un marcheur tellement rapide qu’il me décourage, mais il ne faut pas non plus que je me retrouve avec des gens qui vont dire à chaque pas que la randonnée est trop fatigante. Évidemment, ces classes de niveau permettent d’éviter une trop grande hétérogénéité, et d’éviter ainsi des classes trop difficiles à “gérer”, comme on dit euphémiquement quand c’est la foire intégrale. Cela permet aux bons élèves, normalement, d’exprimer au mieux leur potentiel, ce qu’ils n’auraient probablement pas pu faire dans une classe où toute sélection aurait été bannie. C’est un peu comme pour les classes relais, une façon un peu hypocrite de réintroduire la sélection refusée par les circulaires ministérielles. La sélection, je le répète, est une nécessité. On peut déplorer en revanche, qu’elle se fasse par de misérables astuces, comme le jeu des options. Une telle sélection est essentiellement négative, alors que par exemple, l’orientation vers une école professionnelle peut être vécue comme une opportunité. Ce n’est jamais une opportunité d’être placé dans le groupe des nuls, même si l’on prétend que c’est pour mieux s’occuper de vous.

Au fond, il n’y a pas une infinité de possibilités. Les véritables alternatives au redoublement se situent du côté du soutien scolaire. Il s’agit d’intervenir au fur et à mesure que les difficultés surviennent et de manière aussi ciblée que possible. La plupart des dispositifs, si recherchés soient-ils, reviennent en gros à deux options: le cours particulier et le stage intensif.

Les cours particuliers présentent des avantages évidents. Tout d’abord la grande souplesse d’organisation permet vraiment d’identifier et de résoudre les problèmes exacts de l’élève et dispense de refaire ce qui a déjà été compris, du moins quand les cours sont correctement menés. Ensuite le face à face entre l’élève et son précepteur est très propice au travail. Il y a naturellement des enfants agités, mais en cours particulier ils ne disposent ni de distractions ni d’échappatoires, contrairement à ce qui se passe en classe. Pour peu que l’enseignant conserve tout son professionnalisme et ne se laisse pas aller à la facilité d’une relation de copinage, il lui est très facile de maintenir l’attention et le travail. On peut dès lors tenter des approches très variées et des méthodes inductives souvent dangereuses en classe entière à cause du désordre qu’elles peuvent engendrer. Le cours dialogué, qui consiste à faire émerger les connaissances de la réflexion des élèves est un des grands pièges des pédagogies modernes, parce qu’il tend à se faire avec un petit nombre de volontaires, généralement les meilleurs et toujours les mêmes, laissant de côté ceux qui sont moins à l’aise. Il n’en va pas de même en cours particulier évidemment. Beaucoup plus en tout cas que s’il avait affaire à un groupe. La relation toute professionnelle entre l’élève et le précepteur présente un autre avantage, c’est de limiter la peur du regard d’autrui. Devant une classe, on a souvent honte de se tromper, d’essayer, de prendre des risques, de poser une question. Bien sûr, cette peur peut exister aussi devant l’adulte, mais l’adulte en question n’est pas un ami ou un parent dont on pourrait perdre l’amour. Il doit agir avec bienveillance et encourager l’élève, mais cette bienveillance tient surtout au fait qu’il n’est ni impressionné ni choqué par les performances de l’élève. Des fautes, il en a déjà vu d’autres. Il n’y met rien d’affectif, contrairement à un parent ou un camarade. Il sera, normalement, d’une discrétion exemplaire, comme le médecin devant lequel on se met nu. Non soumis à un programme précis, ni à la nécessité de gérer l’hétérogénéité d’une classe, il peut vraiment prendre l’élève là où il en est. Peu importe quel est le niveau réel. Il a une marge d’action. Cela demande une grande souplesse d’esprit au professeur. Il doit être prêt à enseigner des choses très simples, à rappeler par exemple la règle des doubles négations alors qu’il prépare un lycéen à la dissertation. Mais il n’y a pas de cas si désespéré qu’on ne puisse faire progresser avec du temps.

Le problème, c’est le temps justement, et le coût. Les deux sont intimement liés. Mettre un professeur formé derrière chaque élève coûte très cher. De ce fait, la décision est difficile à prendre. Elle se prend généralement très tard. Les familles paient assez volontiers lorsqu’il s’agit de donner un dernier coup de collier avant les examens, mais elles prennent peur si on commence à en parler dès le cours élémentaire! Quel sera le coût si ça doit durer pendant toute la scolarité? Seulement voilà, quand on intervient très tard, il y a des choses qu’on ne peut plus rectifier. J’avertis loyalement les parents, lorsqu’ils me demandent pour leur fille, à deux mois du bac de français, de rectifier son orthographe. Les cours d’orthographe demandent beaucoup de temps et il y a beaucoup d’autres choses à prendre en considération pour l’examen. Alors certes, on peut travailler la méthode de relecture, ou expliquer comment chercher l’information dans le dictionnaire, mais en sept ou huit heures, on ne rattrape pas un cursus de plusieurs années. En revanche, il y a des choses qui peuvent se débloquer par des explications relativement simples. Un concept mathématique essentiel, l’utilisation d’un brouillon pour rédiger, les figures de style. Bien souvent les élèves ratent leurs dissertations pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont pas compris ce qu’on attend d’eux. Globalement, on ne peut compter sur les cours particuliers que pour des interventions limitées. Mais il ne faut pas être trop mesquin non plus. On peut faire pas mal de choses en vingt ou quarante heures. On ne peut presque rien faire en trois ou quatre, lorsqu’on prend des élèves inconnus. Et là je voudrais mettre en garde les familles contre les promesses électorales insensées. Les ministres ont souvent promis qu’avec eux on allait enfin tenir compte des besoins de chaque élève. C’est faux. C’est faux parce qu’il n’y a jamais les moyens nécessaires. On fait de l’Accompagnement Personnalisé avec des groupes de 18, deux heures par semaine. Une mascarade! C’est faux parce que si on essayait vraiment de mettre ces moyens, les impôts augmenteraient bien au-delà de tout ce qui est raisonnable. Le soutien organisé au sein de l’école publique, depuis vingt ou trente ans, a coûté très cher et n’a rien produit d’autre qu’un vague saupoudrage. À l’échelle locale, on a pu, çà et là, faire des expériences intéressantes, mais qui ont presque aussitôt été détruites par l’échec du dispositif général et par la nouvelle politique instaurée pour le remplacer. On a pu par endroits, réduire le coût en faisant appel à des bénévoles. La démarche est à saluer, mais ne peut nullement constituer une solution globale. Des expériences comme les stages de l’X constitueraient une sorte de taxe sur les élèves des grandes écoles, si elles devaient être généralisées et obligatoires. L’efficacité serait probablement très éloignée de celle du dispositif pilote, qui n’implique que des volontaires bien choisis. Il faut admettre que le suivi individuel est forcément limité dans le cadre de l’école. Les professeurs ne peuvent pas se dédoubler. L’essentiel des cours s’y font forcément de manière collective. Il me semble peu réaliste d’espérer faire des cours particuliers à grande échelle, surtout dans le cadre de l’école publique gratuite, où les coûts ne seraient pas maîtrisés. Une administration serait placée devant le dilemme suivant: soit mettre en place des quotas drastiques, qui profiteraient surtout aux plus habiles, soit laisser filer les déficits. Les pays asiatiques pratiquent massivement les cours particuliers, certes, mais ce sont les familles qui paient. Elles paient d’ailleurs aussi pour des leçons qui ne sont pas prévues dans le cursus, en particulier pour certaines langues, comme le français, ce qui correspond alors à d’autres objectifs que la simple remise à niveau et peut se traduire par une pression excessive sur les enfants. En soi ce n’est pas une mauvaise chose que les familles paient. C’est une question de responsabilité. La gratuité apparente d’un service incite à le réclamer quand on n’en a pas vraiment besoin, et à ne pas le prendre au sérieux quand on en a besoin. Le coût ne se mesure pas seulement en argent. Ce qui est le plus important, c’est que le bénéficiaire se donne de la peine. Il me semble peu judicieux, par exemple, qu’un travail supplémentaire (quel qu’il soit) s’effectue dans les trous de l’emploi du temps. Mais revenir le mercredi après-midi repésente une contrainte suffisante pour que l’élève cherche à progresser et fasse en sorte de ne plus avoir besoin de l’aide des adultes. C’est très important pour l’apprentissage de l’autonomie. Pour toutes ces raisons, les cours particuliers doivent rester limités à l’initiative individuelle.

Les stages intensifs en petits groupes me semblent plus réalistes, comme solutions d’ensemble. Je songe à des stages qui auraient lieu pendant les vacances. Certains pays qui ont interdit le redoublement ont pris cette voie, semble-t-il avec des résultats honorables (Finlande). Il est évident qu’un stage obligatoire, intensif, ciblé et en petit groupe répond à l’essentiel des exigences que nous avons définies au début. L’obligation est importante, si on veut s’assurer qu’ils soient suivis par ceux qui en ont besoin et non par les autres. La perspective de perdre ses vacances constitue assurément un puissant aiguillon. Elle touche aussi bien l’enfant que ses parents. Elle est peut-être même plus grande encore que celle de devoir refaire une année. Un enfant a du mal à se projeter dans l’avenir. Il sait qu’il sera à l’école l’année prochaine de toute façon, qu’il redouble ou non. La différence, il la sentira peut-être dans dix ans. C’est loin, très loin pour un petit bout de chou de CP. Mais les prochaines grandes vacances, il peut s’en faire une idée. Il vaut mieux que le stage s’effectue en petits groupes. Le professeur doit pouvoir s’adapter aux besoins des élèves faibles. Ce qui est très difficile avec trente enfants devient tout à fait réalisable avec cinq ou six. On m’objectera le coût. Mais deux mois avec six élèves par classe ne coûtent pas forcément plus cher que les dix mois dans une grande classe si on préfère le redoublement. Et ils ont des chances d’être plus efficaces. En effet, il devient possible de se concentrer sur les seules matières qui posent problème, surtout si le conseil de classe a défini clairement les objectifs. On évite aussi les soucis psychologiques dus au décalage du cursus par rapport à l’âge de l’élève.

Même si un stage permet moins de réactivité que des cours dispensés tout au long de l’année, il présente l’avantage d’être intensif. Il faut une certaine masse d’heures pour qu’on puisse sentir des progrès. Avec une heure de cours tous les quinze jours, on ne peut pas être efficace et on a tendance à faire du saupoudrage ludique pour occuper le temps. Et il est très difficile d’organiser des groupes de besoin sur un petit nombre d’heures. C’est pourquoi il est parfois plus efficace d’attendre un peu et de regrouper les heures. Au demeurant, le stage obligatoire organisé par l’école peut arriver en complément des cours particuliers à l’initiative des familles. Je vois peu d’inconvénients pédagogiques à ces stages. Si une difficulté peut apparaître, elle est administrative. Il y a un risque non négligeable que l’obligation de stage soit décidée selon les intérêts des professeurs plutôt que selon les intérêts des enfants. En effet, si les élèves font leur stage dans leur école habituelle, les professeurs pourraient avoir tendance à sécuriser leur emploi d’été ou leurs vacances au moment du conseil de classe, soit de façon planifiée, soit indirectement. Il est fort probable au moins que la perspective de deux mois de travail influence leur humeur au moment de la décision. Il faut avoir conscience du piège si on veut mettre en place un tel système. Il existe un moyen simple de contourner l’essentiel du problème. C’est de laisser les familles choisir dans les écoles environnantes celle où s’effectuera le stage. Dans le principe, il vaut mieux que ce ne soit pas les mêmes qui prennent la décision et qui donnent les cours supplémentaires. Et il vaut mieux qu’on ne puisse pas savoir à l’avance qui les donnera, pour dissuader les petits arrangements entre collègues. Par déontologie, je m’interdirai de donner des cours particuliers à mes propres élèves, à moins qu’ils n’en fassent eux-mêmes la demande en toute liberté. Mais si l’on doit penser un système, on ne doit pas compter sur la moralité des acteurs et il faut leur enlever les tentations.

Voilà l’essentiel des solutions possibles. Si on doit donner plus de temps aux élèves faibles, cela se fait forcément soit individuellement, soit en petits groupes; ou bien sous forme de stages, ou bien selon un rendez-vous hebdomadaire. Il n’y a pas une infinité d’options. On tournera toujours autour de ça. Bien sûr, il existe des moyens d’optimiser ces solutions. On peut les évoquer brièvement, mais il ne faut pas en attendre des merveilles.

Une première piste pour optimiser serait de prolonger l’accompagnement des élèves par des acteurs non enseignants, à travers le tutorat ou les études dirigées. Cela suppose d’aménager des temps de travail informels, pendant lesquels les élèves peuvent demander de l’aide. On peut même organiser la communauté des élèves en capitaineries, comme cela se fait dans certains établissements hors contrat. Les élèves sont regroupés en équipes sous la responsabilité de l’un d’entre eux, en général un aîné, choisi par le chef d’établissement, afin que les plus grands (ou les plus forts) puissent aider les plus petits (ou les plus faibles). Ces capitaineries ont un effet modestes sur les savoirs scolaires, mais ils sont très intéressants pour l’éducation morale, la responsabilisation des jeunes et l’esprit de corps. Bien sûr, c’est surtout réalisable dans les pensionnats. Les externats ne peuvent guère proposer plus qu’une heure par jour, lors d’études dirigées. En revanche, il faut se méfier de l’idée d’un soutien par les pairs dans le cadre des cours ordinaires, car c’est une grande source de désordre. Seul un enseignant chevronné devrait s’y essayer. Pour les études dirigées elles-mêmes, le risque est de les transformer en cours ordinaires, surtout si elles sont sous la surveillance d’un enseignant de la classe, ce qui détruirait leur intérêt pour le soutien.

La semestrialisation serait aussi une piste intéressante. Ça pourrait marcher aussi bien avec le redoublement qu’avec les stages. L’idée est simple. Il s’agit d’être plus réactif en ayant des rendez-vous d’évaluation et de remédiation plus fréquents. Un cursus basé sur des semestres plutôt que des années offrirait une meilleure visibilité à de jeunes enfants. Comme je l’ai dit plus haut les petits ont un horizon très court. Pour un enfant de six ans, un an c’est 1/6 de tout ce qu’il a déjà vécu, ou 1/3 de ce dont il se souvient! Appliquez la même proportion à votre âge et voyez si vous êtes capables d’anticiper autant. En fait, la semestrialisation serait tout le contraire de la politique actuelle des cycles, qui étale les apprentissages sur trois ans. Je ne souhaite pas forcément l’application d’une telle mesure, car elle impliquerait une réorganisation lourde des calendriers, des programmes et même des établissements. Les grands établissements pourraient le faire facilement. Si vous avez deux classes de CP, qui suivent le même cours parallèlement, il n’est pas plus coûteux de faire un CP’ et un CP”. Mais vous ne pouvez pas dédoubler chaque niveau dans les écoles de campagne. La semestrialisation nécessiterait une concentration des élèves dans des écoles plus grosses, pour un gain probable mais limité. Je l’indique par pure curiosité intellectuelle.

De même, la modularité, avec des unités de valeurs comme en faculté, pourrait être tentante. Cela permettrait en théorie de mieux cibler les besoins, mais il y a de toute façon des modules incontournables pour la scolarité des écoliers et des collégiens. Les prérequis à un apprentissage peuvent être très nombreux: les sciences économiques nécessitent aussi bien des mathématiques que des capacités rédactionnelles ou des langues étrangères. Pour tenir compte de tout, on risquerait de créer une usine à gaz. Et pour contenir cette usine à gaz, il faudrait une école énorme.

D’une manière générale, de trop grandes tentatives d’optimisation créeraient des usines à gaz. Il faut savoir raison garder. Nous voulons tous ce qu’il y a de mieux pour nos enfants, mais nos bonnes intentions risqueraient de se retourner contre eux, si nous ne laissions pas un peu de souplesse à notre système scolaire. La liberté des éducateurs, qu’il s’agisse des parents ou des enseignants, reste sans doute le meilleur moyen de trouver des solutions aux difficultés, toujours diverses, des élèves. Ces solutions seront toujours partielles, le rattrapage ne permet pas de donner le même cursus à tout le monde. Le lycée unique est une utopie. À l’inverse, l’orientation ne suffit pas à garantir la qualité de toutes les filières. Il faut des remises à niveau aussi dans les apprentissages techniques. Mais toutes ces solutions peuvent se compléter harmonieusement, à condition que les acteurs puissent décider en leur âme et conscience, c’est à dire en ayant tout le temps un seul souci: celui d’être vrais.

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