Presse de Chine

Aujourd’hui, j’ouvre à nouveau l’album souvenir avec un article publié pour la première fois en 2007, dans le magazine Sanqua. Tout un quinquennat! Beaucoup de choses restent encore tout à fait valables, mais je vous laisse découvrir.

 

Il est de bon ton, ces derniers temps, de fustiger la presse papier et de souligner la crise qu’elle subit : baisse des ventes, diminution du contenu. On se plaît à en souligner les causes supposées, parfois avec une dose de mauvaise foi, en critiquant un « politiquement correct » dont le contenu change selon l’idéologie qu’on veut soi-même défendre. On incrimine la concurrence d’Internet, qui est bien réelle (je suis moi-même devenu un lecteur assidu du Monde et je n’ai pas acheté un seul exemplaire depuis des mois). On accuse les rédactions d’avoir perdu leur indépendance et de s’être inféodées au pouvoir politique ou aux puissances de l’argent et de s’être ainsi décrédibilisées, alors que bien souvent, elles manquent seulement de caractère. On sait combien est précieuse une presse libre, indépendante, objective etc. pour le fonctionnement d’une société démocratique. Mais je ne vous parlerai pas ici de la situation française. D’autres rédacteurs de Sanqua sont intarissables sur le sujet.

En Chine au contraire, la crise paraît, comme ça, à première vue, bien éloignée. La crise financière du secteur en tout cas. Les lecteurs asiatiques tirent la croissance, d’après un article du Monde paru l’été dernier. Les quotidiens chinois auraient un tirage total de 96,6 millions d’exemplaires, avec une progression de près de 9% entre 2005 et 2006. Affolant, comme tous les chiffres venant de Chine. C’est assez logique d’ailleurs, l’augmentation du niveau de vie et l’ouverture du pays vont de pair avec un besoin d’information croissant.

De fait la presse chinoise est variée, tant aux niveaux local et provincial que national. La presse spécialisée est dynamique, les magazines de mode ont du succès. Il existe une version chinoise de Elle. Quant à la presse quotidienne, sa diffusion dépasse largement les tirages, puisqu’il est encore d’usage d’afficher les journaux dans les lieux publics, en particulier dans les universités. Elle est parfois étonnamment ouverte à ce qui est étranger. Plusieurs organes nationaux sont publiés en anglais, comme le China Daily. Il existe aussi un mensuel en français assez fourni : la Chine au présent. Surtout, les plus importants sont traduits sur leurs sites internet en plusieurs langues. Ainsi le Quotidien du Peuple et l’agence de presse Xinhua diffusent leurs informations en anglais, en français, en russe, en japonais, en arabe et même en chinois !

C’est donc sur la base des articles traduits en anglais et en français que je peux vous proposer cette petite revue de presse. Attention toutefois à ne pas surinterpréter ce qu’on peut lire sur ces sites. Les articles présentés ne sont pas les mêmes selon les versions. Si la VF paraît étonnamment renseignée sur le duel Sarko-Royal, ça ne veut pas dire que les Chinois de base en aient eu quelque chose à foutre. Cette page d’accueil est spécialement à destination des francophones. Or les Chinois qui connaissent notre belle langue (d’après certains d’entre eux, la plus belle du monde) sont à peu près aussi fréquents que les vérités dans un discours politique (le français est si difficile !) En général, leurs connaissances sur la politique française consistent à trouver Mme Royal sympathique parce que c’est une femme et parce qu’elle a dit du bien de la Chine lors de sa visite en janvier. Il y a donc d’abord dans la VF, en plus des informations chinoises, ce qui est censé plaire aux Français : politique française, culture et art de vivre, le tout, bien sûr, vu par les Chinois, dans le but très clair de faire la promotion de la Chine. La version anglaise parle plutôt de la politique américaine (logique), de business etc. Bon, j’aurais plutôt tendance à penser que pour avoir des infos sur les US, tant qu’à faire de les lire en anglais, il vaut mieux les prendre sur le site du Washington Post ou du New York Times.
Cependant, c’est instructif d’avoir un point de vue extérieur, même s’il est parfois cocasse. Le 26 janvier [2007], par exemple, le Quotidien du Peuple a consacré un article à la présidentielle française, pour souligner que « le ‘facteur chinois’ devient un point d’application pour les concurrents ». Ce qui révèle une jolie méconnaissance de la vie politique française et un énorme ethnocentrisme de la part des Chinois. Car les journaux chinois ne diront jamais qu’un soutien de leur gouvernement fonctionnerait plutôt comme un repoussoir chez nous.

Il y a aussi des informations qui n’apparaissent pas dans nos médias à nous. On est déjà bien assez gentil de s’intéresser aux Européens et de temps en temps à nos colonies. On ne va pas s’occuper des Ruskofs ou des Chinetoques. Pourtant, à l’heure où l’on évalue le soutien à accorder aux Américains, il n’est peut-être pas inutile de savoir que les Russes ont testé avec succès des missiles K65M-R et des systèmes destinés à percer un éventuel bouclier anti-missiles (source Xinhua 23.04.2007). Vous allez me dire : « Qu’est-ce que les Chinois ont à voir avec les missiles russes ? » Peut-être plus de choses qu’on ne le croit.

Si on s’intéresse un peu aux questions stratégiques, c’est une jolie moisson de renseignements charmants que l’on peut récolter. Il existe un protocole de Shanghai sur la coopération militaire entre la Russie, la RPC (République Populaire de Chine) et un certain nombre de pays d’Asie centrale, que les mauvaises langues pourraient qualifier de pays satellites. On apprend aussi que ce protocole a eu des effets concrets, à travers des manœuvres navales communes en mer de Chine. La Chine a fait plus récemment des exercices similaires avec le Pakistan. Le Quotidien du Peuple du 23.03.2007 y a d’ailleurs consacré un long article, très élogieux pour les marins chinois, peu instructif sur la partie pakistanaise.

Pour la Chine, c’est une première, même si on est loin d’une capacité de déploiement comparable à celle des USA : « les officiers et les marins travaillaient plus de 12 heures par jour et les apprêts ont duré 57 jours. » Le simple fait de participer à des manœuvres multinationales est un succès. Un journaliste chinois ne manquera jamais de répercuter les propos élogieux d’un étranger sur ses compatriotes. Je vous donne un exemple, qui vaut son pesant de cacahuètes : « Notre correspondant a remarqué qu’aucun de ceux-ci [les marins] ne crachait par terre, jetait de l’ordure, parlait bruyamment ou s’infiltrait dans les queues. Le comportement civilisé des  militaires chinois et leur attitude pondérée ont fait bonne impression sur la population pakistanaise qui leur a exprimé une grande sympathie en leur adressant des salutations et en leur présentant des compliments. »

Bien d’autres pays sont sollicités pour ce genre d’exercices mais j’en reviens aux Russes. Il y a aussi un programme spatial sino-russe pour Mars qui partira en 2009. On apprend même que « plus de 80 représentants de plus de 50 médias et organismes de presse de Chine et de Russie se sont réunis jeudi [31 août 2007] dans la capitale chinoise pour procéder à un échange de vues sur leur coopération et leurs échanges. » (Xinhua) Nul doute qu’il y a là bien des formes d’expertise inconnues en Occident.

Bref, ils ont l’air, comme ça, de s’entendre comme cul et chemise. Il faut dire qu’en diplomatie, ils ont au moins une doctrine commune, celle de la non-ingérence. Cette doctrine essentielle des « droits de l’homme » à la chinoise a des applications nombreuses. A Pékin, on comprend très bien les déclarations des dirigeants russes sur la Tchétchénie, où les séparatistes sont des brigands, des terroristes et que ceux qui n’ont pas commis de crime grave ne risquent rien. Il est à noter que le terme « séparatiste » est teinté d’une très forte réprobation et s’applique indifféremment aux indépendantistes tibétains (dont on parle relativement peu, vu que de toute façon le Tibet est attaché à la Chine depuis « le déluge ») qu’à ceux du Xinjiang ou encore, contre toutes les apparences, à Taiwan. Une mention spéciale doit être faite au sujet de l’île. Officiellement, la souveraineté de Pékin n’a jamais cessé. Un article sur le développement économique de la Chine pointait les succès de certaines provinces et soulignait, à juste titre, que Taiwan avait pratiquement rattrapé le niveau de l’Occident, mais omettait de précise que, si elle y était parvenue, c’était justement parce qu’elle n’avait pas suivi le même modèle que celui du continent.

Les caricatures publiées en RPC, qui par ailleurs peuvent être bien senties sur des sujets de société ou sur l’écologie, montrent volontiers le président taiwanais, Chen Shui Bian, comme le fossoyeur de l’indépendance de Taiwan. Un dessin le représente aussi attaché à des bâtons de dynamite avec l’île effrayée et allumant la mèche.

Les campagnes de propagande sont nombreuses.

Ainsi un groupe d’ « experts » a été appointé à Lijiang en 2003 pour discréditer d’avance un référendum qui proclamerait l’indépendance et pour justifier l’intervention militaire que cela nécessiterait. La proclamation semble les troubler bien plus que l’indépendance de fait dont les insulaires jouissent depuis près de 60 ans.

Chaque occasion est bonne d’en rajouter une couche. A chaque accord ou rencontre diplomatique, une déclaration de la part du partenaire dans le sens de la « Chine unique » est demandée et généralement obtenue. Presque tous les chefs d’État ont baissé leur froc, à l’exception du Vatican (pour l’instant, car le Saint-Siège ne désespère pas de signer un concordat) et de quelques mini-pays sans importance. La France, je crois, s’en tire en n’ayant qu’une représentation culturelle dans les locaux de l’ancienne ambassade à Taipei.

Les déclarations faites à l’occasion de ces rencontres sont généralement peu instructives mais toujours très consensuelles. C’est très vrai avec l’Afrique. On parle beaucoup d’amitié, de développement et de coopération, mais presque jamais d’approvisionnements stratégiques ou d’un colonialisme qui en remplace un autre – ce qui contraste beaucoup avec ce qu’on peut lire dans les journaux français et, un peu moins, dans les journaux africains.

De toute façon, qui pourrait douter que « l’amitié naturelle entre le Burundi et la Chine est éternelle » ?

Qu’on se rassure donc ! La Chine est un pays pacifique.

La Chine est très rassurante.

Les journaux publient régulièrement des déclarations de ministres sur le sujet, généralement sans faire de commentaires ni expliquer pourquoi la Chine a ainsi besoin de protester de sa bonne foi. D’après un livre blanc sur la défense, « la Chine ne s’engagera dans aucune course à l’armement et ne constituera pas une menace militaire pour aucun autre pays ». Si vous avez compris, Taiwan n’est pas un autre pays et ce qui pourrait s’y passe ne serait rien d’autre qu’une opération de police de grande ampleur. Cela relève du maintien de l’ordre, comme pendant les événements d’Algérie dans les années 50.

Toutefois les progrès militaires de  la Chine sont nombreux et nécessaires, à cause du militarisme nippon, qui tire prétexte de la montée en puissance de l’Empire du Milieu. C’est eux qu’ont commencé, bien sûr ! Ces progrès sont relayés de façon plus ou moins discrète. La Chine a construit un nouvel avion de combat, qui, s’il n’est pas le plus performant, permet de rivaliser avec les autres aéronefs modernes. Elle a envoyé un homme dans l’espace mais les Chinois, qui en sont très fiers, semblent ignorer la signification militaire que cela peut avoir. Elle a détruit un satellite d’un coup de missile bien placé, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, même de ceux qui maîtrisent la pyrotechnie. On parle aussi de la création d’un système de navigation par satellite du genre GPS, qui doit être civil au moins autant que le projet européen Galiléo…

La rumeur d’un porte-avion en 2010 n’a pas été démentie mais seulement assortie d’une douce protestation de bonnes intentions. « Le développement de la défense nationale de la Chine, y compris des forces navales, ne constitue aucune menace pour d’autres pays, a indiqué jeudi Qin Gang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. »

Je suis donc très rassuré.

Je m’aperçois que j’ai déjà beaucoup écrit. Je réserverai donc les questions de société et la façon dont le gouvernement envisage les prochains progrès de la presse pour la prochaine fois. En attendant, voici un petit florilège de déclarations rassurantes, pour se donner une petite bouffée d’optimisme, quand on est habitué aux médias occidentaux :

–    Li Zhaoxing : la Chine n’imposera pas son mode de développement aux pays africains.
–    La Chine est un grand pays qui agit de façon responsable.
–    La Chine est sérieuse et responsable dans le commerce de produits militaires.
–    L’Afrique se tourne vers la Chine en tant que modèle à suivre.
–    Les Jeux Olympiques de Beijing seront un grand succès.
–    La démocratie à la chinoise devient un nouveau modèle du système démocratique mondial.
–    La Chine fait preuve de franchise et de sincérité quant au problème des droits de l’homme.

« Sans mentir », disait la Fontaine.

Cinq ans après, le programme martien des Chinois a été retardé suite à l’échec d’un lancement, mais ils continuent à construire des porte-avions. Le président taïwanais a changé et les tensions sont un peu retombées. Mais rien n’est résolu. Les journaux chinois continuent leur propagande nationaliste systématique. Les querelles territoriales, avec le Japon notamment, ne semblent pas trouver d’issue, parce que de toute façon le véritable enjeu n’est pas les Senkaku-Diaoyu, îlots inhabités, mais quelque chose d’inscrit bien plus profondément dans l’orgueil des Asiatiques. Sunzi disait de connaître son ennemi et de se connaître soi-même, pour être sûr de la victoire. Un chrétien dirait, quant à lui, de l’aimer. Il n’est pas totalement interdit d’espérer qu’en faisant ainsi on dépasse l’inimitié. Quoi qu’il en soit la lucidité a du bon.

Quant à la presse française, elle continue de se lamenter, de réclamer des subventions, au lieu de repenser son modèle économique. Et sa qualité continue de baisser.

Rien n’a beaucoup changé. Les problèmes sont toujours un peu les mêmes. On retient son souffle.

 

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