Condoléances

Mais saurez-vous, Madame, apaiser votre cœur ?
Je crains de m’en aller en vous laissant ici
Dans cette chambre vide où dort votre douleur.
Dites-moi, s’il vous plait, juste un mot, dites si…

Reste-t-il quelque joie qu’on puisse vous offrir ?
Je fus trop faible hélas, je ne sus protéger
L’enfant que vous aimiez et qui voulait partir.
Mais pouvait-il entendre un homme trop âgé ?

Qui donc saurait brider la fougue et la jeunesse,
Enseigner la prudence, enfin, calmer l’ardeur
D’un homme ? Et s’il est fort, trop empli de noblesse,
Va-t-on le réprouver, lui dire d’avoir peur ?

Par devers moi, Madame, je ne puis m’empêcher
D’admirer la vertu qui le fit désirer
D’aller au bout du monde en d’étranges combats
Auprès des tout petits, de ceux qui sont en bas.

Il a fait tant de bien, mais en si peu de temps.
Il donnait à manger, il portait des espoirs,
Des chansons, des couleurs et des jeux aux enfants ;
Et plus précieux encore, il offrait des savoirs.

Les femmes du pays, ployant sous le fardeau
Lui souriaient, Madame, en chaque occasion,
Car ils les estimait, honorait leurs travaux,
Aux champs, au puits, en ville, au fond de leurs maisons.

Il les louait sans cesse en négligeant leurs fards,
Soutenait du regard et parfois de la main,
Avec courage aussi, les efforts féminins,
Sous les yeux goguenards des mâles trop bavards.

Mais les hommes sont faibles et les temps sont cruels.
La colère a grandi en ces terres lointaines.
On y parle trop fort, la bouche emplie de fiel.
Quand les gens prennent peur, les paroles sont vaines.

On crie, on hurle, on meurt, mais on n’écoute pas.
Et les Révolutions oublient les malheureux,
Les hommes qui n’ont rien et ceux qui sont trop las,
Trop tristes, trop souffrants ou simplement peureux.

Qui n’est peureux d’ailleurs ?

L’enfant qui monte au mât, l’élève dans son doute,
Le père licencié de sa mine de fer,
Le marin réfugié au profond de la soute,
L’amoureux dans son lit, le soldat chez sa mère

Quand il faut avouer l’horreur de la tranchée,
Tous, un jour, quelque part, pleurent de lâcheté…
En silence parfois. Et s’ils n’osent crier,
Qui sèchera les yeux de leurs âmes sciées ?

Vous m’avez demandé des explications.
Je doute fort, Madame, qu’elles vous satisfassent :
Des crétins, rien de plus, jaloux de ses actions,
Le prirent à partie pour l’honneur de leur race.

Et lui sans se troubler, toujours avec honneur,
Leur tenait tête aussi, d’un air un peu trop fier
Mais sans rendre les coups, qu’il avait en horreur.
Il ne put s’échapper quand les coups redoublèrent.

Chaque soir tourmenté, ne pouvant m’endormir,
Je revois votre fils et je l’entends me dire :
« Si c’était pour ma vie, me soucierais-je tant ?
Ce que je risque ici va au-delà du sang. »

Oh ! je voudrais combattre et je pourrais frapper
Et je pourrais souffrir et je pourrais saigner.
Mais tout cela n’est rien devant votre silence.
Hélas ! oui, j’ai bien trop trahi votre confiance.

Oh ! je n’ai nul espoir d’un jour m’en rédimer.
Mais par pitié, du moins, accordez un regard
A l’homme qui s’exile… Hélas ! il se fait tard…
Adieu donc, je m’en vais, faute de consoler.

Elle n’entendra point l’amour de son valet,
Qui n’a pas pu sauver le fruit de sa jeunesse.
Perdre une amante est dur, mais je ne peux nier
Que la mort d’un enfant est bien pire détresse.

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