Presse aux ordres

Je continue un peu avec l’album souvenir. Pour compléter ce que j’avais dit ici. L’article date de 2007, mais je crois qu’il est intéressant de voir jusqu’où peut aller la soumission de la presse au pouvoir politique. Cela dit, ne rions pas trop des Chinois, la presse française ne s’est pas améliorée ces dernières années. Et si son musellement est plus subtil, HADOPi et subventions, il convient d’être vigilant.

8h du matin. La rue n’est pas encore trop encombrée de détritus alimentaires. Je m’enfonce dans un sous-sol sordide, car c’est là que se trouve le cybercafé. Peu de monde. C’est l’heure tranquille où les gamers dorment. Quelques attardés de la veille sont encore là et ronflent devant les écrans éteints.

Quant à moi, je vais plus sérieusement aux nouvelles. La vie en France semble suivre son petit train-train quiquennal. Après les présidentielles, des législatives sans surprise. Que se passe-t-il ailleurs? Afrique, Moyen-Orient, Asie? Varier les sources, comparer, confronter, un vrai pensum, pourtant bien nécessaire, quand on veut éviter de dire trop de conneries. En même temps… pourquoi tant de scrupules?

Je quitte la Chine dans deux mois. Puis-je dire que je la connais? Sans doute pas. Trop grande, trop complexe. Tout est à une échelle qui outrepasse largement l’individu. Sans parler de la langue… De toute façon, je ne suis qu’un laowai, je ne peux pas comprendre. Si je fais une critique, ou si j’émets une opinion un tant soit peu contraire à la fierté nationale, je serai perçu comme hostile à la Chine, ce qui est un péché irrémissible. Si j’émets des doutes sur la “Chine unique”, sur l’opportunité des JO de Pékin ou sur la façon dont se fait le développement économique, c’est que je ne comprends pas le pays, son histoire ou ses habitants. Il faut beaucoup de temps pour créer la confiance nécessaire à un dialogue sincère avec une autre culture, pour qu’une critique puisse être perçue comme un acte de sympathie, pour qu’on y voie un désir de vérité et non une basse calomnie. A cet égard, utiliser des sources chinoises est un argument de poids.

Les Chinois sont naturellement agacés lorsqu’on évoque la faible qualité de leurs produits ou encore les problèmes de corruption. Pourtant, la récente affaire Zheng Xiaoyu a vraiment de quoi faire froid dans le dos. Le scandale est énorme. Il implique rien de moins que l’ancien directeur de l’agence chinoise des médicaments et des produits alimentaires. M. Zheng a signé des autorisations de mise sur le marché pour de nombreux faux médicaments. Le China Daily cite le chiffre de 277 autorisations injustifiées, d’au moins 8 entreprises différentes. Le fait est d’autant plus inquiétant que la réglementation est encore assez neuve. On parle tout juste d’instaurer un système de rappel des produits défectueux. Quotidien du Peuple (QdP) 29.05.2007. Et déjà la plus haute autorité chargée de l’appliquer semble pourrie jusqu’à la moelle. Car Zheng n’est évidemment pas le seul concerné à la tête de l’administration. Bien sûr, il y a des morts, notamment des bébés. Zheng a évidemment été condamné à mort. C’était le 29 mai (2007). Il faut toutefois noter que ce n’est pas sous une inculpation d’empoisonnement ou d’homicide, mais tout simplement sous celle de corruption. Il a pris aussi 7 ans de prison pour manquement au devoir. Mais quand on va être exécuté, ça ne change plus grand chose. Il a d’ailleurs été mis à mort récemment.

En Chine les motifs de condamnation à mort sont nombreux (plusieurs dizaines) et la corruption est l’un des plus remarquables en ce moment, puisque le gouvernement a décidé, depuis quelques années, de s’attaquer vigoureusement au problème. Pour qui connaît la Chine, le travail semble titanesque. La corruption s’est tellement installée à tous les niveaux, que l’on peut douter du caractère dissuasif de tels “exemples”. L’agence Xinhua parle de 6600 fonctionnaires ayant fait l’objet d’une enquête entre août 2005 et février 2007. Mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. Et combien vont être effectivement poursuivis? De toute façon, on ne peut pas tuer tout le monde. On ne peut sans doute pas dire que Zheng soit un bouc émissaire, mais que penser de tous ceux qui échappent à la justice? Un des critères essentiels pour prononcer une sentence capitale est en fait… le montant des pots-de-vin et des sommes détournées, en ce qui concerne Zheng, 6,49 millions de yuans (environ 650.000 euros). Bref, c’est en fait le fric qui décide de la vie d’un homme. Quoi qu’il en soit, le gouvernement a promis qu’il “luttera avec le même acharnement contre la corruption en 2007”.

Et quand un gouvernement fait une promesse, on peut le croire…

Puisqu’on en parle:

“Le gouvernement central chinois a remporté la confiance de 1,3 milliard de citoyens.” C’est démontré le 24 mai 2007 par une enquête de l’Académie Chinoise des Sciences Sociales (CASS). Curieuse conclusion quand l’article (QdP du 25 mai) indique que “cinquante et un pour cent des sondés déclarent qu’ils n’arrivent pas à finir les fins de mois à cause de leurs faibles revenus, 45,5 pour cent disent qu’ils ne peuvent acheter ou louer un appartement plus grand que celui qu’ils occupent aujourd’hui.”

51% de 1,3 milliard, ça fait combien? Vous avez dix secondes de réflexion. TOP. Curieux aussi de titrer cela quand on ajoute que “parce que beaucoup de Chinois pensent qu’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts à cause de la situation économique précaire, les fonctionnaires sont sur la sellette pour ne pas avoir agi envers les problèmes de la population.”

Mais voilà, vous n’avez pas bien lu. C’est le gouvernement central qui obtient un “soutien accablant”. Il ne s’agit pas des gouvernements provinciaux, qui, eux, sont corrompus.

On peut parler en Chine de tous les problèmes… puisque “les fonctionnaires de haut rang du pays ont accru leurs efforts et initiatives pour abaisser les tensions de crainte de déboucher sur l’instabilité sociale.”

On peut parler de tout, du moment que la confiance reste indéfectible. “De plus, d’après le questionnaire, tous les sondés croient que l’information émise par les institutions gouvernementales sont plus crédibles que celles des sites web ou que les rumeurs.”

Je dois préciser une chose. Même si on peu être étonné de ces résultats et contester l’unanimité qu’ils affichent, je crois qu’ils ne sont pas totalement faux. Quand on discute avec eux de tel ou tel problème social, les Chinois ont le réflexe de rajouter: “Le gouvernement est en train de prendre des mesures.” Lesquelles? On ne sait pas toujours. Mais il s’occupe de nous. C’est clair, il n’y a pas de soucis à se faire. On peut faire quotidiennement l’expérience de cette réaction, qu’il s’agisse de la condition des paysans, dont les charges ont été diminuées, de celle des ouvriers, de la pollution ou de la corruption. S’agit-il d’un simple réflexe patriotique à l’intention d’un étranger hostile? Je ne crois pas. Le gouvernement central bénéficie vraiment d’un large soutien, soutien aveugle de gens fort peu renseignés sur le fonctionnement des institutions ou sur le contenu exact des lois. Les citoyens de l’Empire du Milieu semblent d’ailleurs s’en soucier bien peu. Le “sens civique” n’a pas la même signification de part et d’autre du continent eurasiatique.

L’information, voilà encore un point qui est censé s’améliorer considérablement ces prochaines années, s’il faut en croire les annonces officielles. “La Chine va émettre un décret de loi décisif favorisant la transparence du gouvernement.” Aaaah!

“Le Premier Ministre Wen Jiabao a signé un décret du Conseil d’Etat pour promulguer ces réglementations, qui vont probablement devenir les règles les plus spécifiques et les plus progressistes du pays, encourageant la publication d’informations du gouvernement lorsqu’elles prendront effet le 1er mai 2008. Les gouvernements à différents niveaux devront émettre des informations qui impliquent les intérêts des particuliers et des groupes, qui devraient être connues des masses, et qui expliquent les procédures et les institutions administratives, indiquent ces lois.” Bieeeen!

Ces lois contiendront également une clause stipulant que la publication de ces informations officielles ne devra pas “porter atteinte à la sécurité de l’Etat, à la sûreté publique, au fonctionnement normal économique et à la stabilité sociale.” Oooooh…

M’enfin, il est vrai que “cela représente un progrès remarquable pour la Chine, pays où même le nombre de morts des catastrophes naturelles était considéré comme tabou.” Dommage que l’article illustre ce fait par un exemple qui date de… 1976!

Dommage aussi qu’on critique surtout les mauvaises pratiques des gouvernements provinciaux. Les problèmes en Chine, c’est toujours dans l’application des lois au niveau local! Beau progrès en effet que de reconnaître (QdP 5 avril) que “c’est une pratique fréquente pour les gouvernements au-dessus du niveau préfectoral de soutenir un journal du Parti pour y publier leur travail et leur idéologie” ou encore de rappeler que “les reportages longs et sans intérêts sur les activités des dirigeants sont devenus de rigueur pendant la “révolution culturelle” (1967-76), lorsque le culte de la personnalité avait atteint son zénith.” Mais il est dommage que l’on s’en tienne aux niveaux subalternes et que “peu de gouvernements locaux ont pris la peine de mettre en application” le document du Bureau Politique du Comité Central du Parti Communiste Chinois décourageant de telles pratiques. Dommage aussi que le principal reproche soit d’ennuyer les lecteurs.

Mais peut-être sera-t-il plus judicieux de leur parler de la cohabitation des tigres et des poulets dans le zoos, de la libido des pandas (grand sujet de préoccupation pour les défenseurs de la biodiversité) ou encore des étudiants qui organisent des funérailles de souris!

Dans la série des progrès de la presse, j’allais oublier la répression de la pornographie, essentielle puisque “à peu près 80 pour cent des délinquants juvéniles ont été attirés dans la criminalité par des “contenus diaboliques” sur le net”, d’après un porte-parole du Ministère de la Sécurité Publique. Je n’imaginais pas une telle influence. Ça fait rêver… En tout cas, les “contenus diaboliques” doivent être nombreux et terriblement variés quand on vois que “les ministères de la Sécurité publique, de l’Éducation, de l’Industrie informatique et de la Culture, le département de la Propagande du comité central du Parti, l’Administration nationale de la Radiodiffusion, du Cinéma et de la Télévision, l’Administration générale de la presse et de l’édition, la Commission de contrôle des banques et le secrétariat du groupe de travail de l’État chargé de la lutte contre les fléaux érotiques et les publications illégales” sont sur cette brèche fort encombrée. Ils se vantent d’avoir fermé plus de 2000 sites lors d’une campagne récente. Je me demande s’il y a beaucoup de sites français qui trouveraient grâce à leurs yeux, s’ils étaient contrôlés systématiquement. Dieu merci, les censeurs chinois sachant lire le français doivent être plutôt rares. Mais on sent quand même qu’on est bien en Chine et pas dans un village mondial.

Certes, on accède sans problèmes aux journaux français qui ont pignon sur rue, même lorsqu’ils répercutent des infos très troublantes pour la République Populaire. Tenez, ce mardi 12 juin, j’ai pu voir cet article du Monde: la police chinoise délivre 31 “esclaves” dans une briqueterie de la province du Shanxi, terrible. Quelques jours après le nombre des esclaves atteignait 468. L’information a été traitée sans ostentation particulière. Le China Daily en a certes fait un article nourri, allant jusqu’à parler de 1000 enfants probablement toujours au travail dans le Shanxi. Mais curieusement, l’article est resté dans les pages régionales et peu visible sur le site du journal, ce qui ne l’a pas empêché d’être le plus lu ce jour-là. En revanche, je n’accède pas à de nombreux sites: Wikipédia et tous ses avatars sont impitoyablement bannis. De très nombreux .org sont bloqués sans qu’on comprenne toujours bien pourquoi. Certains sites d’associations le sont aussi, même si elles n’ont a priori aucun rapport avec la Chine. En tout cas, en deux ans je n’ai pas réussi à atteindre www.sauv.net. Sans surprise, les sites des grandes ONG militantes sont strictement verrouillés: Rsf, Human Right Watch, Amnesty International… Plein de jolies histoires édifiantes qui pourraient faire peur aux petits enfants.

Pourtant Amnesty International est cité dans un rapport chinois tout ce qu’il y a d’officiel. Un petit bijou de politique, une merveille de bonne gouvernance, un travail d’une honnêteté exemplaire. Je vous le donne en mille: le Dossier annuel sur les droits de l’homme aux États-Unis réalisé par le Bureau de l’Information du Conseil des Affaires d’État de Chine (ça mérite bien quelques majuscules). Ce document est ouvertement publié “en réponse au Rapport américain sur les droits de l’Homme publié mardi par le Département d’État des États-Unis”. Le 8 mars (2007), le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères “Qin Gang a dit que le gouvernement des États-Unis n’avait aucun droit à se décrire comme le gardien des droits de l’Homme et à interférer dans les affaires intérieures d’autres pays sous prétexte des droits de l’Homme”. Certes, les donneurs de leçons sont parfois agaçants quand ils se permettent ce qu’ils interdisent aux autres, mais quand la RPC en vient à affirmer que les États “restent muets sur leur propre violation des droits de l’Homme”, ça devient cocasse.

Excusez-moi, c’est vrai, les critiques américaines sur les manquement du gouvernement américain ne viennent pas du gouvernement (le contraire serait surprenant) mais de la société civile, un concept un peu difficile peut-être pour le PCC.

Est-ce à dire que les Chinois méprisent totalement les paroles des étrangers? Non. Bien sûr. Le Quotidien du Peuple fait même toute une série d’articles sur le point de vue des Laowai (“appellation affectueuse donnée par les Chinois aux étrangers”) Belle initiative! Beau signe d’ouverture! Formidable expression de la sympathie chinoise! Formidable comme tout ce qui concerne la Chine, d’ailleurs. La preuve:

“La Chine qui progresse constamment et dont la physionomie se change de jour en jour les captive et ils viennent dans ce pays tellement varié et haut en couleur et en même temps tellement étrange et mystérieux. C’est pourquoi dans les voyages qu’ils y ont conçus spécialement pour eux-mêmes ils font tout leur possible pour satisfaire leur curiosité spirituelle en cherchant des sites pittoresques et historiques.”

Les témoignages sont encourageants: “Née dans une région côtière [en Corée], Sun Chunhua aime sentir le frôlement de la brise maritime et humer l’air à la saveur salée. C’est pourquoi la première fois qu’elle s’est rendue à la station balnéaire de Beidaihe, elle a éprouvé un profond bien-être et elle a eu le sentiment de retrouver son pays natal.”

“Pour moi, le Lac de l’Ouest est un poème et une belle légende particulièrement émouvante. Le chagrin et la joie ainsi que la séparation et les retrouvailles de Xu Xian et de Bai Niangzi me touchent et m’attendrissent au plus haut point. C’est pourquoi ce lac me restera dans la mémoire et je ne serais pas près de l’oublier, a soupiré Pierre tout ému.”

N’y a-t-il rien de négatif? Si, tout de même. “Comme nombre de mes amis, je n’aime pas les constructions en béton des grandes villes, car elles sont souvent à l’origine du stress et de l’étouffement qu’éprouvent les citadins.” Mais ça, il faudrait vraiment être miro pour ne pas le voir.

Je crois que mes amis n’ont pas été interrogés.

Cinq ans après, la censure continue et on se demande toujours si les accusations de corruption ne sont pas des prétextes pour éliminer des concurrents politiques, comme dans l’affaire Bo Xilai. Difficile de s’y retrouver. Les journaux occidentaux aussi sont de parti-pris, dès qu’il s’agit de la Chine, car elle fait peur. Décidément, “the truth is out there”.

Si vous avez du temps à occuper intelligemment ou si vous pensez tout simplement que la liberté d’expression est importante, je vous conseille la lecture des articles très nourris de Kylian dans Sanqua. C’est dans le cycle spark, la rubrique Effets d’annonce. Le fonctionnement de  la HADOPI, la neutralité du net, la propriété intellectuelle. Beaucoup de choses dont on a beaucoup parlé et qu’on connaît très mal.

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